Petit épeautre : un challenge
Selon les normes "conventionnelles", une farine n'est panifiable que si sa force ("W") dépasse 180.
Or, si les farines à pizza issues de blés type MANITOBA affichent des forces jusqu'à 450, le petit épeautre plafonne à 80, ce qui donne un réseau de gluten extrêmement fragile et non mécanisable qui donne à cette farine une réputation de "non panifiable".
Cela explique que les pains de petit épeautre soient souvent absents des étalages ou qu'ils soient cuits en moules, afin d'éviter leur étalement à la cuisson, ce qui donne alors une crèpe compacte et peu attractive.
J'ai commencé à me former au pain au levain à la fois avec du blé tendre et du petit épeautre (qui n'a rien à voir génétiquement avec l'épeautre, au passage), car le petit épeautre est bien souvent accepté sans soucis par les personnes qui réagissent au gluten. Je trouvais donc intéressant de pouvoir proposer des pains qu'elles pourraient manger. Ce fut d'ailleurs le cas de nombre de mes proches.
Assez curieusement, si j'ai réussi des pains de petit épeautre pendant un long moment, il est arrivé une longue période (une bonne année !) où j'ai été totalement incapable de produire autre chose que des crèpes ! J'avoue que je n'ai jamais compris pourquoi j'y arrivais avant, et pourquoi cela ne fonctionnait plus...
Ma pratique ayant évolué dans le temps, par exemple concernant le pétrissage et les modalités de la fermentation, j'ai un jour fini par retenter cette farine : cela a fonctionné à nouveau à mon plus grand plaisir.
Certes, le résultat obtenu est plus proche visuellement de la Tourte de Seigle que du gros pain rebondis, mais il me semble satisfaisant tant dans l'aspect, que de la structure ou du goût.
Comme je m'aperçois que je n'ai jamais documenté mon protocole, voilà qui corrige cette omission.
Recette
Voici d'abord la recette pour un Kg de farine pure. Je précise "pure", car la tentation est grande de mélanger le petit épeautre avec du blé tendre pour le rendre plus facilement panifiable, ce qui nuit évidemment à ses qualités digestives pour les personnes réactives au gluten. Donc l'objectif est bien de l'utiliser pure.
Comme vous le notez ici, j'ai adopté un TH très bas (55%) pour deux raisons :
1- Je pratique une fermentation lente qui génère beaucoup d'eau (d'où les 10 g de levain / Kg de farine)
2- Je pétris à la main
3- Au-delà de ce TH cela devient trop collant et la pâte s'effondre dans le four
La faible quantité de sel passe parfaitement bien.
Protocole
Comme je me plaîs à le rappeler, dans le domaine du pain, la recette ne sert à pas grand chose pour réussir... La réussite étant souvent dans le protocole.
Voici donc comment je procède :
1- Je prends une bassine en plastique alimentaire dans laquelle je place la quantité de levain dont j’ai besoin
2- Je pèse dans un autre récipient la quantité totale de farine, ainsi que le sel de Guérande
3- Je pèse ensuite l’eau dont j’ai besoin, et je la mets à température (ma Température de base étant fixée à 70°).
4- Je verse l’eau à la bonne température dans la bassine, et je la mélange manuellement avec le levain qui s’y trouve : cela me garantit que le levain est uniformément présent dans l’eau.
5- Je verse alors 50% de la farine dans l’eau (sans le sel), et je mélange l’ensemble manuellement, ce qui me donne une pâte fluide assez grumeleuse.
6- Je laisse reposer ce premier mélange pendant 5 minutes : cela donne à la farine le temps de s’imprégner d’eau, ce qui se traduit par une pâte déjà plus lisse, sans effort.
7- J’ajoute alors l’autre moitié restante de farine et le sel qui s’y trouve. Et je mélange pour que l’ensemble soit simplement homogène.
8- La pate forme ensuite un ensemble assez homogène pour que je puisse la pétrir manuellement quelques minutes,
9- La pâte est mise dans une cuve fermée pendant 16h à 21°C.
10- Je décuve la pâte, et je me contente de la bouler très très légèrement, sans la dégazer, avant de la mettre dans un banneton, clé dessous. Important : Généreusement fariner le banneton, pour éviter que cela ne colle.
11- Je fais un apprêt de 90 minutes à 21°
12- J'enfourne sans grigner, en laissant la clé dessus : c'est elle qui va former la structure des grignes qui vont se former naturellement. D'où l'intérêt de structurer un peu sa clé pour qu'elle soit belle ensuite :)
13- Je cuis 35 minutes à 250°C pour un pain de 500g, 45 minutes pour un pain d'un kg.
Le résultat est difficile à distinguer d'une tourte de seigle, hors la couleur de la mie, qui sera plus jaune.
Exemple sur cette photo. La tourte de seigle (100%) a ici été façonnée en pain court sur couche (à gauche), et le petit épeautre en tourte (à droite) :
Et voici une coupe d'Engrain (autre nom du petit épeautre) :